L'affaire des cercueils, pas à pas...
On sait ce qu'il en est au départ: un Procès-verbal rédigé le 7 mai 1821 par le
Grand Maréchal du Palais, le général Bertrand, et signé également par Montholon
et Marchand. Il mentionne que l'Empereur a été déposé dans un cercueil de fer
blanc, lui même enfermé dans un cercueil en plomb, et le tout contenu dans un
cercueil en acajou...
D'autre part, la constatation qu'en 1840, on
trouve 4 cercueils: un en fer-blanc, un en acajou, un en plomb et un autre en
acajou également.
Mais, chronologiquement, comment cela vient-il à être
connu du public ?
Un 1er livre paru à Paris le 16 juillet 1821,
mentionnait un premier cercueil en chêne avec des incrustations d'ébène, un
autre en plomb et le cercueil en acajou, pour finir...
Il s'agissait en
fait des éléments collationnés dans la presse anglaise et traduit à l'usage des
Français. Il n'a pas été possible de retrouver les correspondances par
lesquelles les derniers compagnons de l'Empereur donnaient des détails sur ses
derniers moments et sur la manière dont il avait été inhumé.
Antommarchi
-dès 1823- rédigeait un ouvrage consacré à ses soins donnés à son illustre
malade. Le livre parût en 1825: c'est le premier qui -publiquement- révélait que
Napoléon avait été enterré dans 4 cercueils ( fer-blanc, acajou, plomb, acajou).
Le livre fut critiqué et Montholon, comme Marchand ne s'en privèrent pas...
Mais, tout le monde ignorait l'existence et le contenu de ce fameux PV
du 7 mai 1821...
Vinrent les évènements de 1840: personne ne sembla
prêter attention à ces détails. Antommarchi avait bien parlé de 4 cercueils et
c'est dans l'ordre décrit par lui qu'ils furent exhumés le 15 octobre 1840. Il
n'y avait donc aucun problème.
Mieux, les souvenirs d'Ali publiés en
1926, avalisaient cette version. Mais deux témoins -et pas des moindres-
Bertrand et Marchand n'avaient pas livré leurs souvenirs à la postérité...
Aussi, la publication du 1er volume du journal de Bertrand en 1949,
suscita un vif intérêt... Et amena quelques spécialistes à aller chercher les
témoignges anglais pour dissiper les interrogations!
Bertrand écrivait à
propos de la soirée du 7 mai: "on a scellé le fer-blanc, puis l'enveloppe en
plomb. On dit que l'air ne pénétrant pas, cela se conserverait des siècles."
Aucune mention encore d'un quelconque cercueil en acajou.
Le 9
mai, il précisait: "le matin, on a placé le cercueil en plomb dans un cercueil
d'acajou;"
En s'en tenant aux écrits de Bertrand, le plus précis et le
plus fidèle chroniqueur des derniers jours à Sainte-Hélène, de l'avis unanime
des historiens, il apparaissait pourtant qu'un des cercueils en acajou n'avait
pas été mentionné par le Grand Maréchal...
Il fut facile de mettre ceci
sur le compte de l'oubli ou d'une mémoire défaillante, nonobstant le fait que le
journal était écrit quasiment en simultané avec les évènements!
On
reparla alors des témoignages de Darling et de Darroch. A l'examen de ceux-ci,
il ne pouvait plus y avoir de doutes: l'empereur avait bel et bien été enterré
dans quatre cercueils.
Malheureusement, en 1955, paraissait le second
tome des mémoires de Marchand, qui avaient été achevés en 1842. Et -entre autres
détails troublants- il donnait le fameux PV du 7 mai!
Ceci ne dérangea
guère les exégètes: Antommarchi, Darling et Darroch étaient unanimes (pas tout à
fait, comme on le verra); il n'y avait donc pas lieu de s'étonner d'un PV
manifestement erroné...
Cependant, que savait-on de ces témoignages ?
Le journal de Darling aurait été retrouvé à Sainte-Hélène et publié une
1ère fois par une revue locale en 1851. Ce document existe bel et bien et on
peut le consulter à la British Library, comme nous l'a appris notre ami
Albertuk.
Mais où se trouve le manuscrit ? car le contenu de ce journal
avance certaines circonstances qui font douter de son authenticité: notamment la
fable d'un Noverraz en conférence avec les Anglais à New-House (la nouvelle
habitation destinée à Napoléon)le 5 mai 1821! Or, à cette date, le pauvre
Noverraz tenait à peine sur ces jambes, se relevant péniblement d'une maladie du
foie...
Il serait donc particulièrement intéressant de consulter ce
manuscrit, dont le colonel Mac carthy nous disait qu'il n'y avait aucune raison
de le mettre en doute!
Vraiment ? En tout cas, la chose est difficile,
car personne n'a revu ce manuscrit et on ignore ce qu'il a pu devenir...
A peu de choses près, il en est de même des lettres écrites par
l'enseigne Darroch à sa mère. Publiées une premières fois en 1904, l'original de
ces lettres a lui aussi mystérieusement disparu. C'est tout de même fâcheux...
Parce que l'on peut soutenir à bon droit que ces documents sont des
faux, faute de pouvoir effectuer un examen critique de ceux-ci! Qu'est ce qui en
garantit leur authenticité ? la nationalité anglaise de leurs auteurs ? Une
raison supplémentaire de les écarter sans un examen préalable !!!
Ce
souci n'a manifestement pas effleuré les légalistes: puisque ces documents
anglais ont été publiés par des Anglais, contemporains de l'Entente Cordiale,
c'est donc qu'ils sont authentiques!
Excusez du peu! Mais si cette
position peut être caractérisée comme procédant de la politique, elle ne peut
-EN AUCUN CAS- être considéré comme une démarche historique!
D'autant
plus que lesdits témoignages sont légèrement divergeants:
Darling parle
d'un premier "cercueil en bois" contenant le fer blanc, puis du plomb et
finalement du dernier "cercueil en acajou"!
Car l'acajou manquait
complètement à Sainte-Hélène, au point de devoir sacrifier la table à manger en
acajou du capitaine Benett...
Et si Darling et Bertrand avait tout deux
raison ? On aurait livré à Sainte-Hélène le 7 mai une caisse en bois contenant
le cercueil ou plutôt l'enveloppe en fer blanc. Ne parle-t-on pas d'une feuille
en fer-blanc que l'on découpât en 1840 ? Ce fer-blanc devait-être très fin, il
devait donc bien être soutenu par une paroi en bois pour bien le caler...
Bertrand et Montholon ne crûrent pas nécessaire de mentionner cette
simple caisse en bois, probablement sans couvercle. Le récit de Bertrand du 9
mai est donc ainsi en parfaite conformité avec la vérité!
Mais alors ?
Quid de ce premier cercueil en acajou retrouvé en 1840 ?
L'affaire n'est
donc pas réglée, comme l'ont pourtant assuré les légalistes, ici ou ailleurs...
Personnellement -et jusqu'à preuve du contraire- je fais plus confiance
au Procès-Verbal établi par le dernier Grand Maréchal du Palais, sur
l'authenticité duquel il n'y a aucun doute, plutôt qu'à un ou deux témoignages
anglais dont on ne peut plus consulter les originaux, si tant est qu'un seul
chercheur Français ait jamais pu les voir !!!
Quant à Antommarchi, on
sait ici le crédit que l'on peut lui accorder...