L'Énigme des Invalides

Napoléon disait : "Il faut pour les hommes un jour favorable, comme pour les tableaux"...

Une critique féroce, acharnée, déjà aiguisée avant lui, et constituant le fond du siècle, l'a environné et suivi pour épier tous ses actes,
les plus insignifiants comme les plus exceptionnels, analysant chacun des gestes, non seulement de sa grandeur, mais des instants les plus lointains
et les plus insignifiants de son obscure enfance ...

Dans la vie d'un homme effacé, les vices, les défauts sont peu visibles ; ils n'intéressent personne. Et quand on les aperçoit, ils se fondent dans
l'uniformité grisâtre de la personnalité.

Dans une vie éclatante, placée seule sur une cime, excitant la curiosité passionnée de tous les contemporains et de toute la postérité, si puissamment
illuminée que la moindre petite ombre y apparaît du premier coup d'oeil, les vices et les défauts, paraissant noirs et indélébiles, attachent alors les regards ...

Dans l'éloignement, seul le "petit homme" continuera à voir ces taches, comme il ne verrait dans un tableau de maître qu'un doigt mal attaché
ou une cheville un peu trop épaisse ...

En effet, celui qui se tient trop près d'une grande chose n'en retient que ce qui lui ressemble, ce qu'il y a en elle de plus mesquin, de plus commun ...
Il y poursuit avidement ce qui le ramène à sa taille, et lorsqu'il se met à chercher les vilains côtés, c'est pour y reconnaître les siens...

[...] lorsqu'on s'intéresse à un grand homme, et je n'ai jamais nié que Napoléon en fut un, on s'attache aussi bien à ce qui a fait sa grandeur qu'à ce qui faisait de lui un être humain avec ses travers et ses défauts.
A ne s'échiner à le voir que sous le seul aspect de sa légende dorée, on se condamne à ne connaître qu'un aspect limité de son existence et à ne considérer les faits que sous un prisme déformant qui ne donnera jamais du personnage toute l'étendue de ce qu'il fut réellement.
Vous trouvez mesquin de s'intéresser à ce qui faisait de Napoléon un homme comme les autres alors que c'est justement dans ces moments là que je le trouve fascinant.
Ne vous en déplaise, sa véritable grandeur se trouve là où vous ne voyez que mesquinerie et trivialité.
C'est notamment parce qu'il a su transcender ses faiblesses et ses doutes qu'il est devenu ce génie que vous admirez tant.
En analysant ces divers aspects certes moins reluisants, on appréhende l'individu dans toute sa globalité et l'admiration que l'on peut éprouver pour lui n'en est guère émoussée au final.

A ce titre, je ne puis que vous conseiller la lecture du livre de Jean-Marie Rouart "Napoléon ou la destinée".
Vous y découvrirez un personnage bien plus riche et complexe que vous ne l'imaginez.

Pour reprendre ma réflexion, je disais donc que l'homme "petit", ne recherchant que les points négatifs qui somme toute le réconfortent tant il s'y retrouve lui-même, hé bien cet homme là ne se doute même pas combien il grandit le Héros quand il s'attache ainsi, en épluchant sa vie, à démontrer qu'il est un homme !

Car Napoléon, tout en étant le Génie de son époque, fut avant tout un homme ...

Certes, assez ombrageux, il se sentait d'une essence rare. Son enfance et sa jeunesse toute entière furent atroces : tout le distinguait déjà de
ses petits camarades, et tout le rendait hostile à leurs yeux, que ce soit son accent corse, son nom, sa façon d'être, son visage singulier, ses vêtements râpés

Tout cela retentira dans sa vie plus tard ; nous le retrouverons d'une extrême nervosité, migraineux, bilieux, sensible à tout ce qui l'environne, odeurs, couleurs, bruits ; il a le pas précipité, de brusques dégoûts et fatigues, mais en même temps il se montre capable d'efforts géants, semant ses cavaliers derrière lui après trente heures de cheval, galopant sans cesse, trempé ou brûlant, livide, arrivant seul au but, mangeant peu et très vite, quand il y pense, et dormant juste quand il en a le temps !

Tant pis, pense-t-il, pour ceux qui ne savent pas écouter, ne veulent pas comprendre, son calvaire intérieur persiste.

Si les hommes , par ses actes, connaissent sa grandeur présente, les forces intérieures qui le travaillent continuent de leur échapper.
Il sent que c'est son coeur qui va régler les pulsations de l'Univers ... Alors, il brusque, il fonce ....
Sans avoir le temps de convaincre, il affirme, et c'est tout.

Il ne s'agit pas de discuter avec l'homme de peu de foi et de peu de résolution, si c'est le jour ou la nuit. Il s'agit d'enfoncer les portes du soleil...

.. Napoléon écrivit un jour à sa soeur Caroline :

" -Votre mari est un brave homme sur les champs de bataille. Mais il n'a aucun courage moral."

C'est bien, en effet, le courage moral qui éclate dans tous les gestes et toutes les circonstances de la vie de Napoléon.
Ce fut une existence toute entière à supporter l'assaut du monde, seul, avec sa tête et avec son coeur !

Brumaire ne fut pas la première manifestation de cela, il y eût l'Italie et l'Egypte avant, et le commandement suprême n'est pas du domaine du courage militaire, mais celui du courage moral ...

Les actes atroces qui font partie de son histoire révèle un courage infiniment plus difficile que de s'exposer à la mort, c'est le courage de la pensée,
une aptitude à la décision héroïque qui, quelle qu'elle soit, brise le coeur.

Ainsi, à Jaffa, il doit choisir entre la mort violente pour les Arabes capturés et la mort par la faim s'il les épargne ... Il réfléchit et les fait tuer ...

Il est facile, après cela, de diminuer un grand Homme, en l'affublant de folie orgueilleuse, d'insensibilité, d'impulsivité, de crime même, dans tout acte
qui soulève la réprobation de la "morale universelle", lorsque doit jouer la conscience ...

Mais la conscience d'un grand Homme est un lieu bien plus redoutable qu'on ne le croit en général ! Car l'opinion de la morale universelle entre dans le jeu d'un grand Homme.
Lui se passe de morale, mais de conscience, jamais ; la morale fixe des règles, mais la conscience n'en veut pas ...

Dans les décisions éclatante, et visées par tous les regards, qu'un grand Homme est appelé à prendre, la morale publique et sa conscience ne cessent d'entrer en conflit.
Dès lors, les moralistes ont beau jeu ! Et l'interprétation des mobiles qui le poussent à agir devient la proie des impuissants !

"Le pouvoir, le sang-froid, le courage et la fermeté ne firent qu'accroître le nombre de ses ennemis ... Et l'on appela "orgueil" sa grandeur d'âme."

Richelieu avait dit "on ne peut pas vouloir l'empire et devenir un saint. Il faut choisir..."

Seule exception notable, Saint-Louis. Mais l'empire lui était donné de naissance. Il n'avait plus qu'à accéder à la sainteté.

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"Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."

Napoléon.

Très belle citation de Richelieu ! En comprenant, bien sûr, que ne pas être un "saint" ne signifie nullement être un "criminel".
Le sens est plus large, mais cela s'entend aisément.

J'aime beaucoup Balzac dans la citation suivante :

"Qui pourra jamais expliquer, peindre ou comprendre Napoléon ? Un homme qu’on représente les bras croisés, et qui a tout fait ! Qui a été le plus beau pouvoir connu, le pouvoir le plus concentré, le plus mordant, le plus acide de tous les pouvoirs ; singulier génie qui a promené partout la civilisation armée sans la fixer nulle part ; un homme qui pouvait tout faire, parce qu’il voulait tout ; prodigieux phénomène de volonté, domptant une maladie par une bataille, et qui cependant devait mourir d’une maladie dans un lit après avoir vécu au milieu des balles et des boulets ; un homme qui avait dans la tête un code et une épée, la parole et l’action".

Et devant un tel homme, le Grand Homme, nous ne pouvons que nous incliner !

D'autres, plus pragmatiques sans doute, y virent les causes sa fin brutale.
Ainsi, Victor Hugo qui, bien que napoléonien déclara au soir de Waterloo : "Sa chute était prédestinée car il gênait Dieu !".

Rien d'irréel dans ma conclusion, juste la reconnaissance des choses, grâce à une dose correcte d'humilité...

Quant à la citation de Victor Hugo, quel bel hommage faite au Grand Homme, pour d'autres, plus déistes certainement ...

Victor Hugo disait : Vous n’admirez pas Napoléon ?! Mais qui admirez-vous donc ??

Enfin, il conviendra de ne pas confondre "causes" et "conséquences" ; car, bien évidemment, tout ce qui a constitué le génie de Napoléon,
loin de l'amener à sa fin, lui a permis de réaliser le parcours brillant que nous lui connaissons !...

Où donc ai-je écrit que votre conclusion était irréelle ?

N'oubliez pas non plus que les conséquences de son génie amenèrent aussi aux causes de sa défaite.
Les unes et les autres sont donc étroitement liées.

D'autres, plus pragmatiques ... (Joker)

... Le pragmatisme étant une méthode philosophique traitant du "réel".