Ma motivation à coucher sur cette feuille blanche l'intensité de mes sentiments, orchestrés par la nature des évènements de cette page d'Histoire, se trouve de toute évidence accrue par l'intérêt que vous apportez à la lire, à la commenter et à la partager avec moi, dans une complicité qui rassure et qui réconforte ...
Soyez-en vivement et chaleureusement remerciés.
Nous avions donc laissé Delessart et ses hommes, en position d'obstruction à la marche de Napoléon, à l'endroit ci-dessus nommé le débouché du défilé ...
Lorsque l'Empereur apparut à leur vue, le commandant reconnut instantanément la silhouette si familière de la redingote grise ...
Il le regarda descendre de cheval ... L'Empereur paraissait extrêmement agité, et se promenait à grands pas, sur la route, en s'arrêtant de temps à autre pour observer le bataillon à la lunette ...
De nombreux paysans l'avaient suivi, et quelques-uns avaient commencé à distribuer des proclamations aux soldats, mais ces derniers restaient immobiles dans leurs rangs ...
C'est alors que , Delessart menaçant les émissaires, ceux-ci finirent par s'éloigner ...
Ce fut ensuite au tour d'un Officier de la Garde, ancien camarade du commandant, de s'approcher de lui pour parlementer.
Mais sans vouloir l'écouter, il lui dit :
-"Je suis déterminé à faire mon devoir, et, si vous ne vous retirez sur le champ, je vous fais arrêter".
-"Mais, enfin, tirerez-vous? " questionna l'Officier
-"Je ferai mon devoir" répéta le commandant ...
Comme l'Officier semblait vouloir s'approcher encore afin d'haranguer les troupes, il porta vivement la main à la poignée de son épée ...
A ce même moment, arriva à cheval l'aide de camp de l'Empereur ; il s'arrêta juste devant le front du bataillon, et lui cria ces mots magnifiques, chargés d'une intense émotion :
"-L'Empereur va marcher vers vous. Si vous faites feu, le premier coup de fusil sera pour Lui. Vous en répondrez devant la France."
Pourtant, toujours muets et immobiles, les soldats paraissaient impassibles ...
Soudain, les Lanciers polonais commencèrent à s'ébranler, et quelques cents mètres derrière le peloton de Cavaliers, apparurent les longues capotes bleues et les bonnets à poil de la Vieille Garde ...
Dans les rangs du 5è de Ligne, un mouvement se fit, perceptible ; le commandant regarda les visages de ses hommes, et ne pût y lire que stupeur et épouvante ...
Réalisant que depuis quelques minutes la résistance s'avérait impossible, il fit faire demi-tour à droite à son bataillon, craignant toujours une défection.
Puis il confia à l'aide de camp de Marchand :
"-Comment engager le combat avec des hommes qui tremblent de tous leurs membres, et qui sont pâles comme la mort !" ...
Les Polonais approchaient, ete, bientôt, leurs chevaux soufflaient dans le dos des Voltigeurs.
S'étant aperçu de cela, Delessart commanda à ses hommes de faire volte-face ...Ceux-ci obéirent machinalement, pendant que les Lanciers, sachant bien qu'ils ne devaient charger à aucun prix, s'étaient repliés à la droite de la Vieille Garde ...
C'est alors que l'Empereur commanda au Colonel Mallet de faire mettre à ses hommes, l'arme sous le bras gauche ...
Le Colonel protestant, rappellant que la première décharge d'une troupe aux dispositions encore peu claires, face à des hommes quasiment désarmés, serait meurtrière.
A ceci, l'Empereur répliqua :
-"Mallet, faites ce que je vous dis!".
Et, seul à la tête de ses vieux Chasseurs, portant tous l'arme basse, il s'avança vers le 5è de Ligne ...
Hors de lui, le Capitaine Randon s'écria alors :
-"Le voilà ! ... Feu ! ....
Imaginez-vous quelques secondes l'état d'esprit de ces malheureux soldats, à qui l'on demandait de tirer sur leur Empereur !
Quel soldat, digne de ce nom, aurait-il été capable d'un tel acte ?!
Ils étaient livides, prêts à défaillir, leurs jambes ne les portaient plus tant elles vacillaient, et dans leurs mains crispées tous les fusils tremblaient ...
Arrivé à portée de pistoleet, Napoléon s'arrêta, et, d'une voix forte mais calme, il s'exclama :
"- Soldats du 5è, je suis votre Empereur. Reconnaissez-moi."
Puis, il s'avança encore de quelques pas, et, entr'ouvrant sa redingote, il leur dit ces mots que nous aimons tant relire, cette petite phrase gravée à jamais dans nos esprits, tant elle reflète la grandeur d'âme de l'Empereur, sa générosité, et sa confiance envers ces hommes dont il connaît si bien le coeur :
-"S'il est parmi vous un soldat qui veuille tuer son Empereur, me voilà !"...
Bien sûr, c'était trop leur demander, et l'épreuve s'avérait insurmontable ...
Ces hommes, venus dans un premier temps pour s'opposer à Napoléon, n'avaient plus qu'un désir, celui de laisser s'échapper leurs sentiments d'attachement à leur Empereur, sentiments trop longtemps contenus !...
Ce furent alors d'immenses cris de "VIVE L'EMPEREUUUUUUUUUUUUUUR"!
qui jaillit de toutes les poitrines !
Ces soldats qui n'osaient bouger il y a une demi-heure à peine, avaient rompus les rangs, et jeté sur la route leurs cocardes blanches ; ils agitaient leurs shakos à la pointe de leurs baïonnettes ; ils se précipitaient vers leur Empereur pour mieux l'entourer, pour l'acclamer de tout leur coeur ...
Ils s'agenouillaient même à ses pieds, touchant en idölatres, les pans de sa redingote, ou son épée ou encore ses bottes !
Bref, l'euphorie avait atteint son paroxysme ...
Profitant du tumulte engendré par ces manifestations de reconnaissance, le capitaine Randon s'était enfui.
Quant au commandant Delessart, bien qu'humilié, il ne s'en trouvait pas moins ému, devant ce spectacle grandiose ...
C'est en larmes qu'il alla remettre son épée à l'Empereur qui l'embrassa pour le consoler ...
Une fois que les soldats eurent repris leurs rangs, l'Empereur, face au bataillon, s'adressa à lui en ces termes :
-"Soldats, je viens à vous avec une poignée de braves gens, parce que je compte sur le peuple et sur vous. Le trône des Bourbons est illégitime puisqu'il n'a pas été élevé par la nation. Vos pères sont menacés du retour des dîmes, des privilèges et des droits féodaux ... N'est-il pas vrai, Citoyens ?"
Ce ne fut alors qu'un seul écho des paysans de La Mûre, de Laffray et des villages voisins que la curiosité et la sympathie nourrie pour Napoléon avaient amenés jusqu'à Lui, un seul écho pour dire : OUI ! OUI !
Alors, les acclamations du peuple se mélangèrent à celles de la troupe, pour un vibrant et méritant hommage rendu à l'Empereur ...
Arriva à ce moment-là, au galop, un cavalier, habillé en capitaine de la Garde Nationale, arborant une cocarde tricolore aussi large qu'une soucoupe ...
C'était ..... Jean Dumoulin, souvenez-vous ... le gantier de Grenoble !
Il mit pied à terre, et s'adressa à l'Empereur :
-"Sire, je viens apporter à Votre Majesté cent mille francs et mon bras" ...
-"Remontez à cheval, lui dit l'Empereur en souriant. J'accepte vos services."
La colonne impériale, ainsi renforcée du 5è de Ligne, ayant demandé à former l'avant-garde, et des sapeurs du génie, eux-mêmes précédés d'un peloton de Lanciers dirigé par l'adjudant Laborde, ainsi que des fourriers de la Garde, se remit enfin en marche...
